Déconnexion professionnelle pour les salariés : droit ou devoir ?

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téléchargementAujourd’hui, 90% des cadres disposent d’un micro-ordinateur sur leur lieu de travail et le nombre de smartphones mis à leur disposition a été multiplié par six depuis 2008. Cette diffusion massive des outils numériques engendre des risques d’hyperconnexion des salariés.

En effet, selon une enquête de l’Apec Credoc publiée fin 2014, un tiers des cadres se déconnecte rarement, voire jamais et 63% d’entre eux affirme que cela perturbe leur vie privée et affecte négativement leur qualité de vie.

C’est pour prévenir ces risques d’hyperconnexion pour la santé des salariés que le projet de loi El Khomri « visant à instituer de nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » insère dans le Code du travail le droit à la déconnexion professionnelle pour les salariés.

Respect des temps de repos et de congés : le dialogue social avant tout

L’article 25 prévoit qu’à compter du 1er janvier 2018 « les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés » seront discutées au titre de la négociation annuelle obligatoire.

« A défaut d’accord », l’employeur déterminera lui-même ces modalités et devra les communiquer « par tout moyen » aux salariés de l’entreprise.

Dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, ces modalités figureront dans une « charte élaborée [par l’employeur] après avis du comité d’entreprise ou à défaut, des délégués du personnel. » Elle devra prévoir notamment « la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation des salariés à l’usage des outils numériques à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction.»

Un droit à la déconnexion qui s’accompagne d’un devoir de déconnexion

Le gouvernement a donc suivi à la lettre les recommandations du récent rapport Mettling qui préconisait des solutions peu contraignantes, à négocier au sein des entreprises, et une prise de conscience collective : « Au sein de l’entreprise, différentes démarches, pas forcément juridiques mais tout aussi efficaces, doivent encourager la déconnexion : chartes, configuration par défaut des outils, actions de sensibilisation (ex. exemplarité des managers). »

Pour le DRH d’Orange, « savoir se déconnecter est une compétence qui se construit également à un niveau individuel mais qui a besoin d’être soutenue par l’entreprise ». Autrement dit, les salariés ont aussi un devoir de déconnexion et l’entreprise se doit de « former ses collaborateurs au bon usage des outils digitaux » pour garantir l’effectivité du droit au repos dans une société toujours plus connectée.

« Avec l’accès à l’information partout, tout le temps, pour tous, il existe un risque de surcharge cognitive et émotionnelle, avec un sentiment de fatigue, d’excitation. Se pose en creux la question des risques psycho-sociaux, ainsi que l’enjeu de concurrence du temps d’attention disponible. » peut-on lire encore dans ce rapport sur la Transformation numérique et la vie au travail.

Salariés hyperconnectés, victimes consentantes et bourreaux

Réguler l’usage de ces outils constitue donc une question centrale, notamment pour les cadres qui sont les premiers concernés. Encore faut-il que les salariés surconnectés adhèrent à ce principe. L’inscription dans la loi du droit à la déconnexion était une demande portée notamment par la CGT des ingénieurs, cadres et techniciens, l’UGICT-CGT.

En même temps qu’il reproche au projet de loi d’occulter, par son « approche réductrice », « la réalité des charges de travail qui se trouve masquée par l’utilisation intensive des technologies en dehors du temps au travail », Jean-Luc Moulins, le secrétaire national de la l’UGICT-CGT, déclare mal à l’aise : « on n’empêchera personne de se connecter mais il faut des gardes-fous. »

Le fait est que nombre de salariés sont eux-mêmes responsables de la porosité entre leurs sphères privée et professionnelle et qu’un cadre trop rigide serait perçu comme une atteinte à leur liberté individuelle. Ce qui fait dire à Jean-Emmanuel Ray, professeur en droit social que sur cette question de la surconnexion, les salariés sont « des serfs très consentants, à la fois victimes et bourreaux. »

On en revient donc à la question de la formation des salariés au bon usage des outils digitaux mais il ne faudrait pas oublier que tous les salariés ne sont pas égaux face à la déconnexion. Tous n’ont pas le pouvoir de se déconnecter. N’est-il pas illusoire, voire naïf, de compter sur l’exemplarité des managers pour faire respecter ce droit à la déconnexion ? D’espérer que ce droit puisse s’exercer si aucune mesure contraignante ne pose de limites ? La déconnexion relève autant de l’éducation que de la régulation. Et dans ce domaine, comme dans bien d’autres, tout est à inventer !

 » Regard sur le droit à la déconnexion « , Anact, 22/02/2016

 » Droit à la déconnexion : atteinte ou renforcement des libertés individuelles ? « , Rodolphe Helderlé, Miroir Social, 25/02/2015

Rapport Mettling

LCP – Loi travail : Vers un droit à la déconnexion pour les cadres

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