Faut-il annuler ou maintenir les contrats de travail des intermittents à cause du Covid-19 ?

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Deux cas de figure se présentent dans le cas où vous aviez signé un contrat de travail avec un artiste ou technicien pour une représentation ou une prestation qui n’a pas pu être réalisée du fait d’une décision administrative (confinement dû au Coronavirus, interdiction préfectorale…) :

  • Vous décidez de maintenir la rémunération des personnels sous contrat
  • Vous décidez de déclarer vos salariés en activité partielle pour tout ou partie de leur temps de travail initialement prévu.

Distinction entre salaire et indemnité

Le premier cas de figure se rencontre lorsque le donneur d’ordre a annulé le contrat mais qu’il verse à l’employeur un « dédit » pour lui permettre de maintenir la rémunération des salariés du spectacle, ou bien lorsque l’employeur direct peut maintenir les salaires car ceux-ci sont garantis par le maintien de ses ressources (notamment ses subventions). Cette pratique est d’ailleurs encouragée par le Ministère de la Culture ainsi que par certaines organisations professionnelles de la branche du spectacle subventionné.

Dans le second cas, l’employeur qui ne peut supporter financièrement le coût de l’indemnisation pourrait aussi faire appel au dispositif de l’activité partielle afin de maintenir une indemnité minimale des heures chômées, et être remboursé de cette somme sous la forme d’une allocation (payée par l’État et Pôle Emploi).

On peut se féliciter d’une position qui vise à épargner des populations de salariés déjà précaires. Dans le premier cas, les structures subventionnées éviteront ainsi de transférer vers le budget de l’État la charge de l’indemnisation de ce chômage forcé. Dans le second cas, on permet à des salariés, notamment ceux qui ne bénéficient pas d’allocation chômage, de recevoir une indemnité de remplacement.

Mais ce maintien des contrats a ouvert une petite polémique et des difficultés de mise en œuvre supplémentaires. Car rémunérer une prestation de travail et indemniser la rupture du contrat de travail par l’employeur sont deux choses différentes qui se traitent donc… différemment.

  • Un salaire est la contrepartie d’un travail et est soumis à des obligations en termes de cotisations sociales et de durée. Un artiste en représentation perçoit ainsi un « cachet » évalué forfaitairement à une journée ou à 12 heures selon les cas, et est soumis à des cotisations particulières (taux réduits, caisse spécifique pour le chômage et les congés…). Ce salaire est déclaré à Pôle Emploi via une attestation sur laquelle sont portés les jours de travaillés, le nombre d’heures ou de cachets, et les montants de la rémunération brute et des cotisations versées à Pôle Emploi.
  • La rupture du contrat (ou la mise en activité réduite) doit donner lieu à versement d’une indemnité qui remplace la rémunération du travail qui n’a pas pu être réalisé.

Ainsi, dans le cas où l’employeur souhaite maintenir la rémunération prévue au contrat de travail, il devrait en principe remplacer le salaire (« cachet » ou nombre d’heures de travail initialement prévues) par une indemnité dont le montant doit être identique à celui du salaire initialement prévu (aliéna 3 de l’article L122-3-8 du code du travail). Les primes de précarité et indemnités de congés payés sont donc également dues.

MAJ du 07/04/2020 – Cette indemnité de rupture anticipée du contrat à durée déterminée est soumise à l’ensemble des cotisations habituelles (sécurité sociale, retraite, prévoyance, chômage…). 

Toutefois, dans l’hypothèse du recours à l’activité partielle, le complément versé par l’employeur pour diminuer ou supprimer la perte de salaire, et l’indemnité elle-même  seront assujettis uniquement à la CSG au taux de 6,7% sur l’assiette constituée de 98,25% des indemnités versées (voir site de l’URSSAF ainsi que le Décret n°2020-325 du 25 mars 2020).

Situation des salariés indemnisés vis-à-vis de Pôle Emploi

L’employeur qui déclare des indemnités en remplacement du paiement de la totalité des heures prévues au contrat ne peut ainsi pas délivrer d’AEM comme il le fait habituellement. Le salarié va devoir déclarer à Pôle Emploi l’absence d’activité puisqu’il n’a pas travaillé, quand bien même il a bénéficié d’une indemnisation. Pour autant, pourrait-il cumuler son indemnité journalière de remplacement et son indemnité de rupture de contrat ? Difficile de répondre mais Pôle Emploi apporte quelques éléments de réponse dans un « questions-réponse publié le 25 mars » dont nous vous livrons quelques extraits :

PUIS-JE BÉNÉFICIER DE L’ACTIVITÉ PARTIELLE SI JE SUIS EN CONTRAT COURT OU SAISONNIER ET QUE MON ACTIVITÉ CESSE AVANT LE TERME DU CONTRAT ?

La nature de votre contrat de travail (CDI, CDD ou intérim) n’a pas d’incidence.

JE CUMULAIS MON SALAIRE ET MON ALLOCATION CHÔMAGE. POURRAIS-JE CUMULER MON ALLOCATION AVEC L’INDEMNITE D’ACTIVITE PARTIELLE ?

Le cumul de l’allocation chômage et de l’indemnité d’activité partielle est possible, en partie ou intégralement, selon la situation. Cela dépend des rémunérations reçues durant le mois écoulé.

COMMENT S’ACTUALISER EN CAS D’ACTIVITE PARTIELLE ?

L’actualisation se fait sur le site de pole-emploi.fr ou par téléphone au 39 49 (elle s’effectue entre le 28 du mois et le 15 du mois suivant). Vous devez déclarer au plus juste l’ensemble des rémunérations reçues pour le mois écoulé, en intégrant l’indemnité d’activité partielle et les éventuels salaires reçus (au titre d’autres contrats).

Pensez à bien déclarer un nombre d’heures travaillées lors de votre actualisation. Si vous êtes resté au chômage partiel tout le mois, déclarez au moins une heure travaillée.

Votre bulletin de salaire est à transmettre à Pôle emploi dès que vous le recevez. Votre montant mensuel d’allocation sera régularisé si nécessaire.

COMMENT SERONT TRAITÉES LES PÉRIODES D’ACTIVITÉ PARTIELLE POUR UN FUTUR DROIT À L’ALLOCATION CHÔMAGE ?

La période d’activité partielle sera prise en compte pour ouvrir de futurs droits à l’allocation chômage, à raison de 5 jours travaillés par semaine civile ou 7 heures par jour.

COMMENT SERONT TRAITÉES LES INDEMNITÉS D’ACTIVITÉ PARTIELLE DANS LE CALCUL DE MA FUTURE ALLOCATION CHÔMAGE ?

Les indemnités d’activité partielle ne seront pas prises en compte dans le salaire de référence destiné au calcul de l’allocation chômage.

À la lecture de ces informations, on peut tirer certaines conclusions tout en restant prudent du fait que le fonctionnement des annexes 8 et 10 peut être différent de celui du régime général de Pôle Emploi :

  • Les CDDU, en clair les intermittents, sont éligibles à l’activité partielle;
  • Bien que les indemnités d’activité partielle (et par extension, selon nous, de rupture anticipé de CDD) ne rémunèrent pas un travail, elles doivent être déclarées à Pôle Emploi au titre des rémunérations perçues;
  • Les heures chômées indemnisées seront prises en compte pour l’ouverture des droits futurs à raison de 5 heures par jour… Mais des discussions sont actuellement en cours et un décret est toujours attendu pour préciser la conversion de ces heures, notamment des cachets (MAJ du 06/04/2020).
  • Les indemnisations n’entreront pas dans le calcul du salaire de référence lors de la prochaine ouverture de droits ;
  • Le cumul indemnités + allocation chômage est possible « selon les situations » (?) ;
  • Les heures non travaillées ne doivent pas être mentionnées lors de l’actualisation mensuelle (sauf en cas de chômage total, et dans ce cas, indiquer « 1 heure ») ;

Que doivent déclarer les employeurs qui versent une indemnité ?

L’indemnité de rupture de CDD est soumise à cotisations sociales alors que l’indemnité d’activité partielle (et le complément facultatif) ne sont soumis qu’à la CSG au taux réduit et aux cotisations aux Congés Spectacle (+ prévoyance et santé). Seule l’activité partielle acceptée dans les conditions prévues par la loi lui permettra d’être remboursé par une allocation égale à l’indemnité versée dans la limite de 70% de 4,5 fois le Smic horaire brut, et d’au minimum 8,03 € nets.

Qu’en est-il des déclarations à Pôle Emploi ? La situation est encore floue sur ce point à ce jour.  Le nombre des heures indemnisées et le montant de l’indemnité doivent figurer sur le bulletin de paie. Mais lorsqu’il embauche un CDDU l’employeur affilié à Pôle Emploi Spectacle remet à Pôle Emploi et au salarié une AEM qui remplace, de façon simplifiée, l’attestation de fin de contrat des salariés du régime de droit commun qui elle, permet de déclarer les différents éléments de la rémunération (indemnités reçues, situation en termes de congés payés). Les employeurs et leurs tiers déclarants sont dans l’attente de précisions urgentes sur ce point (la période de déclaration mensuelle des intermittents étant ouverte depuis le 28 mars).

En outre, afin de tenir compte de la situation née de la crise du Covid-19, le gouvernement a décidé diverses mesures qui permettront aux salariés de voir repoussée leur date anniversaire de réexamen des droits au chômage, tenant ainsi compte du fait qu’ils n’ont pu travailler pendant la période de confinement (et probablement plusieurs semaines après également).

MAJ du 07/04/2020 – Contrairement aux annonces, il ne s’agit pas d’un report automatique et généralisé de date anniversaire. Seuls les demandeurs d’emploi concernés par un renouvellement de leur indemnisation pendant la période définie par décret (jusqu’au 2 mai) sont concernés par ce report.

La position ambiguë du Ministère de la Culture

Une polémique est immédiatement née dès que certains (dont nous faisons partie) ont rappelé l’état du droit du travail alors que dans le même temps, le Ministre de la Culture assurait à qui voulait l’entendre que les cachets devaient être versés « normalement ». Pôle Emploi a été saisi et n’a apporté, à ce stade, aucune autre réponse que celle que nous indiquons ci-dessus.

Suite aux annonces du Ministre de la Culture, ses services ont publié le 27 mars dernier un simple communiqué sous la forme de questions-réponses afin de préciser sa position, intitulé : « Recours à l’activité partielle, impact sur les droits à indemnisation ou encore impact sur le contrat de travail : les réponses aux questions que vous vous posez suite à la crise de coronavirus ».

Analysons chacune des réponses : après avoir rappelé le cadre normal du recours à l’activité partielle pour les employeurs culturels, le Ministère confirme que le CDD d’usage est éligible à l’Activité Partielle sans condition de durée, pour tous les contrats annulés pendant la crise sanitaire.

C’est sur l’impact du chômage partiel sur les droits d’indemnisation que sa position est surprenante, en droit.

Le paiement des « heures de travail » alors que la représentation a été annulée

A la question 5, le Ministère indique que « Dès lors qu’elles sont rémunérées, ces heures (celles qui correspondent à la rémunération de représentations qui ont été annulées – ndla) seront comptabilisées dans la période d’affiliation pour l’ouverture des droits au titre des 507 heures. Les heures rémunérées dans ce cadre devront être déclarées à Pôle emploi et seront prises en compte pour déterminer le nombre de jours indemnisables au titre du chômage au cours du mois ».

En disant « Dès lors qu’elles sont rémunérées », le Ministère sous-entend que ces heures sont déclarées comme des heures travaillées alors que, dans l’état actuel du droit, elles ne peuvent être qu’indemnisées. Le Coronavirus pourrait-il ainsi justifier de déclarer un travail fictif, qui plus est dans le but d’aider le bénéficiaire à ouvrir des droits à un revenu de remplacement ? Déclarer et payer un travail fictif est interdit par la loi, comme le rappel Justifit.

La prise en compte des heures indemnisées au titre de l’Activité Partielle pour l’ouverture ou le renouvellement des droits au chômage

Le Ministère annonce comme Pôle Emploi que « Les périodes d’indemnisation au titre de l’activité partielle sont prises en compte dans le calcul de l’affiliation, pour les intermittents comme pour tous les demandeurs d’emploi suivant des modalités définies par décret. Les cachets seront également convertis en heures indemnisées au titre de l’activité partielle suivant des modalités définies par décret ». On attend donc le fameux décret qui n’est toujours pas publié à ce jour.

Quoi faire ?

MAJ du 6/4/20 – Près d’une semaine après la publication de cet article, le décret sur l’Activité partielle appliquée aux CDDU des annexes 8 et 10 n’est toujours pas publié, et aucune clarification n’a été apportée pour que les employeurs qui ont les ressources pour le faire puissent déclarer des heures de travail alors que ce travail n’a pas été réalisé. Le temps presse puisque les intermittents doivent s’actualiser auprès de pôle emploi.

Des instruction ayant visiblement été données (bien qu’officieuses) pour que Pôle Emploi ne puisse pas contester la réalité des heures et cachets déclarés pendant la période de confinement, il parait peu risqué de déclarer normalement les dates en question. Et si les demandeurs d’emploi n’ont pu les mentionner sur leur actualisation mensuelle, il semble que l’on s’achemine bien vers une possibilité de régulariser sa déclaration jusqu’à la fin du mois suivant.

Pour le temps partiel, se pose le problème de la preuve de l’engagement. Le décret prévoit que la demande d’activité partielle nécessite de disposer d’une preuve de l’engagement signé avant le 17 mars (normalement le contrat de travail ou une promesse d’embauche). Ce qui pose le problème des mois à venir. On sait que dans le spectacle, les contrats se signent souvent tardivement, sauf pour de longues tournées de plusieurs mois avec des dizaines de représentations, ce qui représente très peu de personne. Pour autant, les producteurs adressent aux artistes et techniciens des plannings prévisionnels, plusieurs semaines à l’avance, indiquant quand et où le spectacle va se jouer, ne signant les contrats de travail que lorsque le contrat de cession est revenu signé du diffuseur.

Avec toutes les incertitudes actuelles sur la sortie du confinement, il est évident que les contrats ne vont pas se signer de si tôt. S’il est possible d’avoir eu en poche, avant le 17 mars, des contrats signés ou une preuve écrite  pour mars, voire avril, il en sera autrement pour les dates à venir des 5 ou 6 prochains mois. Encore bien des soucis en perspective…

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