Une association doit-elle négocier un accord d’intéressement pour attribuer une prime Macron ?

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Dans une instruction n° DSS/5B/2020/11 du 15 janvier 2020, la Sécurité Sociale a publié un certain nombre de précisions sur la mise en œuvre, en 2020, de la Prime exceptionnelle de pouvoir d’achat dite « Macron ». Parmi les 39 (!) questions auxquelles elle répond figure la possibilité pour les associations d’intérêt général d’accorder de telles primes sans disposer d’un accord d’intéressement.

Petit rappel sur cette « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » (PEPA)

La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat prévue par l’article 7 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale reprend des mesures consécutives au mouvement des gilets jaunes. Toutefois, les conditions pour bénéficier des réductions de charges et d’impôt se sont sévèrement durcies dans la mesure où l’employeur doit, pour en bénéficier, avoir mis en place un accord d’intéressement.

Pour faciliter la mise en place de tels accords, le gouvernement a prévu des simplifications pour les TPE de moins de 11 salariés en leur permettant par exemple de procéder par décision unilatérale de l’employeur ou en obligeant les branches à négocier ces accords collectivement et à proposer des modèles types pour les moins de 50 salariés.

Mais une difficulté majeure subsiste pour les associations : l’accord d’intéressement vise à récompenser la performance des salariés pour améliorer la rentabilité et la productivité de l’entreprise. Or une association ne doit pas avoir pour objectif de dégager des profits. Si la signature d’un accord d’intéressement est possible pour les associations, elles doivent toutefois veiller à respecter plusieurs conditions :

  1. Si l’association n’est pas lucrative (au sens fiscal du terme), elle ne doit pas mettre en place un système incitant à améliorer la rentabilité de l’association, au risque de voir l’administration fiscale considérer qu’elle concurrence des entreprises qui exercent ces mêmes activités, en utilisant des moyens similaires (règle des 4P). Tout au plus, l’association peut fixer des indicateurs d’amélioration de la qualité du service rendu à ses clients-usagers.
  2. De même, la prime d’intéressement ne doit pas pouvoir être considérée comme une redistribution des excédents d’exploitation. Ainsi, les indicateurs financiers calculés en pourcentage du résultat pourraient amener l’administration fiscale à remettre en cause le caractère désintéressé de la gestion.
  3. Enfin, si les indicateurs définis ne permettent pas de garantir le caractère aléatoire de l’intéressement, la DIRECCTE pourrait contester la validité de l’accord et l’URSSAF refuser les exonérations de charges.

Au regard de la complexité de la définition des indicateurs d’intéressement et des risques de redressement ou de remise en cause du critère d’intérêt général, il nous paraît assez périlleux de mettre en place un accord d’intéressement dans les associations.

Histoire pas très simple de la rédaction d’une loi sur un sujet pourtant simple

C’est sur la base de ces argumentaires que la commission des affaires sociales avait pourtant adopté un amendement[1] (par l’ajout de l’alinéa F à l’article 7) pour que « Les dispositions du A[2] ne s’appliquent pas pour les associations régies par la loi du 1er juillet 1901. ». Malheureusement, l’Assemblée a rejeté tout d’abord cet amendement pour finalement l’accepter quelques jours plus tard (n°701). Mais quelques jours encore après, le sous-amendement n°2063 restreignait la portée de l’amendement obtenu de haute lutte en le reformulant ainsi : « F – Les dispositions du A ne s’appliquent pas pour les associations et fondations mentionnées au a du 1° de l’article 200 et au b du 1° de l’article 238 bis du code général des impôts ».

Or, ces articles concernent « les fondations ou associations reconnues d’utilité publique sous réserve du 2 bis, de fondations universitaires ou de fondations partenariales mentionnées respectivement aux articles L. 719-12 et L. 719-13 du code de l’éducation » ou encore (article 238 bis) « les fondations ou associations reconnues d’utilité publique ou des musées de France et répondant aux conditions fixées au a, ainsi que d’associations cultuelles ou de bienfaisance et des établissements publics des cultes reconnus d’Alsace-Moselle ».

Par cet amendement, le législateur, en prétendant élargir la portée de la mesure, l’a de fait limité aux fondations et associations reconnues d’utilité publique[3], bien loin de l’amendement initial qui devait concerner toutes les association loi 1901[4].

L’instruction qui va à l’encontre du texte législatif

Heureusement, nos administrations ne sont pas à une contradiction près. Lisez donc la question 2.2 de l’instruction signée par la directrice de la sécurité sociale : « Quelles entreprises sont dispensées de mise en œuvre d’un accord d’intéressement pour bénéficier de l’exonération ? »

Voici sa réponse : « Les associations et fondations mentionnées au a du 1° de l’article 200 et au b du 1 ° de l’article 238 bis du code général des impôts (fondations ou associations reconnues d’utilité publique ainsi que les associations cultuelles ou de bienfaisance, les associations de bienfaisance) ne sont pas tenues à l’obligation de mise en œuvre d’un accord d’intéressement pour bénéficier de l’exonération. ». Jusqu’ici pas de problème, on parle toujours des fondations ou associations reconnues d’utilité publique, ainsi que les associations cultuelles ou de bienfaisance.

Néanmoins, elle ajoute ceci : « Afin de respecter l’intention du législateur, cette exemption doit s’entendre comme concernant également l’ensemble des association et fondations reconnues d’intérêt général mentionnées au b du 1° de l’article 200 CGI et au a du 1° de l’article 238 bis du CGI. ». Autrement dit, pour faire simple, les association dites d’intérêt général.

Si le législateur avait voulu élargir l’exemption d’accord d’intéressement, il aurait accepté l’amendement qui l’étendait à toutes les associations loi 1901, au lieu de le dénaturer totalement en le limitant aux seules associations d’utilité publique. Bref, réjouissons-nous plutôt que des fonctionnaires puissent améliorer ce que les députés ont complètement raté.

Mais alors, qu’est-ce que l’intérêt général ?

Le site Associathèque nous rappelle que cette notion est purement fiscale et ne donne lieu à aucune « reconnaissance ». Pour être d’intérêt général, il faut simplement remplir ces trois conditions :

  1. La gestion doit être désintéressée (gestion et administration bénévole, pas de distribution des bénéfices, les parts d’actif ne sont pas attribuées aux membres) v. 60 à 510 du Bofip
  2. L’activité ne doit pas être lucrative (elle n’est pas concurrentielle ou ne s’exerce pas dans des conditions similaires à celles d’une entreprise commerciale : règle des 4P) v. 520 à 710 du Bofip
  3. L’organisme ne doit pas fonctionner au profit d’un cercle restreint de personnes (le public visé par l’activité est large et non discriminant) v. 130 à 160 du Bofip.

L’association qui respecte ces 3 conditions est ainsi considérée comme d’intérêt général. Elle peut demander un rescrit fiscal pour disposer d’un document qui officialise cette qualité mais ce n’est pas obligatoire, et nous sommes même de plus en plus nombreux à le déconseiller[5].

Pour être également très précis et concret, la non lucrativité telle que précisée ci-dessus (2.) doit s’entendre comme le non-assujettissement aux impôts commerciaux. En effet, pour ne pas être assujetti aux impôts commerciaux, il est nécessaire que l’activité prépondérante soit non lucrative. Si l’association est assujettie, c’est donc que le critère de non lucrativité n’est pas respecté. Elle doit alors disposer d’un accord d’intéressement pour verser une PEPA[6].

Alors, on peut ou on ne peut pas ??

Vous êtes non fiscalisés pour vos activités prépondérantes, avez une gestion désintéressée et vous adressez à un cercle non restreint de personnes ? Alors oui, vous pouvez être dispensé de signer un accord d’intéressement… Mais à la condition que vos œuvres « (aient) un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou (concourent) à la mise en valeur du patrimoine artistique, (…), à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises »[7], ce qui est tout de même un peu plus restrictif. On s’en contentera néanmoins tout en regrettant une chose : les tergiversations entretenues depuis des mois ont très certainement découragé toutes les associations qui espéraient pouvoir verser une prime non soumise aux cotisations et impôts…

Beaucoup d’agitation pour pas grand-chose.

[1] Amendement N°AS664 présenté par Mme El HaÏry, voir l’article d’Alternatives Economiques

[2] Obligation de signer un accord d’intéressement

[3] Décision du Conseil d’Etat.

[4] Voir nouvel article d’Alternatives Économiques

[5] https://www.associatheque.fr/fr/fichiers/focus/Focus_interet_general.pdf

[6] Et elle n’est donc pas éligible au mécénat, sauf celle qui relève du f du 1. de l’article 200 ou du e du 1. de l’article 238 bis, mais ça, c’est un autre sujet…

[7] Voir b : du 1. de l’article 200 du CGI, idem au a du 1. de l’article 238 bis.

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